Tandia, malien de 38 ans gardé à vue au commissariat de Courbevoie en décembre 2004 et tombé dans le coma dans des circonstances jamais éclaircies depuis, mort à l’hôpital quelques semaines plus tard, a-t-il été victime d’un tir de flash ball dans le commissariat ? Une nouvelle piste, évoquée pour la première fois par un proche de l’enquête à « Bakchich ».

Dans cette affaire, beaucoup de pièces ont mystérieusement disparu depuis trois ans. Interpellé par la police le 5 décembre 2004 pour séjour irrégulier, emmené au commissariat de Courbevoie (Hauts-de-Seine), Abou Bakari Tandia, malien de 38 ans, en ressort le lendemain dans le coma, direction l’hôpital de Lariboisière puis Colombes. Il y mourra le 25 janvier 2005 sans avoir repris connaissance.

Selon la police, Tandia, désespéré face à la perspective d’une expulsion, s’est volontairement cogné la tête contre la porte de sa cellule ; ce qui a provoqué lésions graves, perte de connaissance et coma. La famille ne croit pas à cette version des faits : sur son lit d’hôpital, Tandia n’avait aucune blessure à la tête ; en revanche il avait un gros impact de choc sur le torse, de forme circulaire et de plusieurs centimètres comme le montrent les photos prises par la famille qui a veillé Tandia tous les jours jusqu’à son décès. Une autopsie est réalisée. L’IGS, police des polices, valide la version policière. Puis la justice classe l’affaire sans suite le 10 mars 2005.

C’est sans compter sur la détermination de la famille qui porte plainte pour « tortures et actes de barbarie ayant entraîné la mort » et relance l’enquête judiciaire. Mais depuis trois ans, les disparitions mystérieuses de pièces s’accumulent : une partie du dossier médical s’est notamment volatilisé, au grand dam de l’hôpital de Colombes qui a mené minutieusement son enquête et ne s’explique pas une telle disparition. Une pièce qui réapparaît trois ans plus tard.

Nouveau coup de théâtre le 9 septembre dernier : on apprend de source judiciaire qu’une expertise médicale de la victime réalisée par l’Institut médico légal le 21 mars 2005 sur la base d’un examen radiologique - disparue donc depuis trois ans et demi - a été restituée… fin août 2008 à la juge chargée du dossier, qui l’a trouvé comme par miracle sur son bureau à son retour de congés ! Il s’agit d’une copie, déposée sans lettre d’accompagnement ni explication. Qui l’a déposé sur le bureau de la juge ? Le parquet de Nanterre lui-même qui s’en excuse deux jours plus tard : depuis trois ans l’examen radiologique avait été conservé par erreur : une bourde incroyable pour ces magistrats professionnels, second parquet de France par le volume des affaires traitées.

Aucune blessure à la tête

Or que révèle cet examen ? Que la victime n’avait aucune blessure ou lésion à la tête, ni interne ni externe : pas de fracture et même « absence de lésion cérébrale macroscopique décelable » ; pas non plus de contusion ou plaie au cuir chevelu. Ce qui invalide totalement la thèse des policiers selon laquelle Tandia se serait cogné la tête contre la porte de sa cellule, provoquant coma puis décès. Contacté par Bakchich, Yassine Bouzrou, l’avocat de la famille, n’a pas souhaité faire de commentaires.

D’autres faits sont extrêmement troublants : pourquoi la justice a, dans un premier temps, classé l’affaire – le 10 mars 2005 – sans attendre les résultats de deux pièces cruciales, l’examen anatomo-pathologique et le dossier médical ? Le rapport d’autopsie réalisé deux mois avant, en janvier stipulait pourtant expressément que ces résultats étaient absolument nécessaires pour pouvoir tirer des conclusions définitives.

Tee shirt volatilisé, camera en panne, commissaire muté

Par ailleurs, le tee shirt de la victime portant les traces d’une éventuelle blessure au thorax n’a pas été restitué par les policiers à la justice, contrairement à deux autres vêtements : son pantalon et sa veste. Et ni l’IGS ni la justice lors de sa première enquête n’auraient demandé à examiner ces vêtements, pourtant pièces cruciales. C’est l’avocat de la famille qui en a demandé – et obtenu – la saisie.

En outre la garde à vue de Tandia aurait dû être filmée comme la loi l’oblige ; mais selon la police la caméra de videosurveillance de la cellule était en panne ; or la société extérieure chargée de sa maintenance n’a jamais été saisie d’un quelconque problème technique : si pas panne, les fils de la camera, plaçés à 4 m de hauteur et hors d’atteinte, auraient-ils été arrachés ? Si oui par qui ?

Tout aussi troublant : aucun policier n’aurait été entendu par la justice ; le commisaire en poste à l’époque au commissariat de Courbevoie devrait l’être au cours des prochaines semaines. Par ailleurs ce commissaire a curieusement été muté en mai 2005, quelques semaines seulement après la plainte déposée par la famille ; s’agit-il d’une mutation-sanction ? Il n’a pas été remplacé tout de suite, comme si sa mutation n’avait pas été anticipée ; et c’est finalement un commandant de police qui a assuré l’intérim.

Mystérieux impact sur le thorax

Reste cet impact non élucidé sur le torse de Tandia. L’expertise radiologique qui vient de réapparaître apporte des éléments nouveaux, signalant des « opacités lombaires inférieures bilatérales sur le cliché du thorax ». Pour une source proche du dossier qui a soumis les photographies de la blessure à un médecin, ce pourrait être la conséquence de l’impact d’une balle en caoutchouc tirée par un flash ball dont sont dotés les policiers. A moins de 5 mètres, un tir de flash ball peut être mortel. Tandia, lors d’une altercation avec les policiers pendant la garde à vue, aurait-t-il été victime d’un tel tir dans l’enceinte du commissariat ? Pour l’instant il ne s’agit que d’une nouvelle hypothèse ; qui pourrait être confirmée ou infirmée par l’enquête judiciaire. Les proches de Tandia s’interrogent : a-t-on voulu dissimuler une bavure en détruisant des preuves ? Ils attendent une réponse.

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