Pour télécharger la lettre d'Amnesty International, cliquez ici (fichier PDF, 90 Ko) Madame la Ministre de la Justice,

LETTRE OUVERTE SUR LE CAS D’ABOU BAKARI TANDIA

Le 24 janvier 2010 marquera l’anniversaire de la mort d’Abou Bakari Tandia, décédé après être tombé dans le coma en décembre 2004, alors qu'il était en garde à vue au commissariat de Courbevoie, en banlieue parisienne.

Cinq ans après, aucune enquête effective n’a été menée, la famille ignore toujours les circonstances exactes ayant entraîné sa mort.

Abou Bakari Tandia, Malien en situation irrégulière, vivait en France depuis 13 ans. Le 5 décembre 2004, vers 20 heures, il fut interpellé par des policiers qui l'ont emmené au commissariat de Courbevoie pour un contrôle d'identité puis l’ont placé en garde à vue. Tombé dans le coma dans des circonstances inconnues, il a été transporté à l'hôpital, à Paris, puis transféré à Colombes. Il est resté hospitalisé sans reprendre connaissance jusqu'à sa mort, le 24 janvier 2005. Il avait 38 ans.

Sa famille n'a été informée de son arrestation et de son hospitalisation que le 9 décembre 2004 et l’a découvert à l’hôpital en état de mort cérébrale. La police a affirmé qu'il s'était volontairement cogné la tête contre le mur de sa cellule. Or ni le rapport d'autopsie, ni les rapports médicaux ne font état de blessures à la tête.

Le procureur de Nanterre a ouvert immédiatement une enquête mais a classé l'affaire sans suite en mars 2005.

La famille d'Abou Bakari Tandia a porté plainte en avril 2005 pour « actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort » ; l'affaire a donc été ré-ouverte, mais la procédure a peu progressé.

Fin 2008, une nouvelle enquête de l’IGS (Inspection générale des services) a révélé que la caméra de surveillance de la cellule d'Abou Bakari Tandia, qui selon les policiers, avait été arrachée par un détenu, « était hors d'atteinte et ne pouvait être détruite étant donné son emplacement». Suite à cela, l’avocat a porté plainte pour « faux témoignage » mais cette plainte a été rejetée par le parquet en septembre 2009.

Suite à la menace de l'avocat de la famille de porter plainte contre l’hôpital pour « destruction de preuves », en août 2008 le procureur a remis à la juge d'instruction certains éléments du dossier médical d'Abou Bakari égarés « accidentellement » depuis 2005. Quant à l’hôpital, c’est seulement en janvier 2009 qu’il a fourni le dossier médical, archivé « par erreur ».

Un rapport d'expertise de l'Institut médico-légal de Paris en juillet 2009 conclut que l'œdème cérébral d'Abou Bakari Tandia « résulte d'une violente secousse avec ébranlement du cerveau dans la boîte crânienne » jugée « peu compatible avec la version des policiers » et justifiant ainsi leur mise en examen pour violences présumées, ce qui n’a pas été fait malgré une demande persistante de l’avocat depuis septembre 2009.

Depuis lors, ni l’avocat ni la famille n’ont été informés d’une quelconque évolution du dossier.

La France est tenue de respecter et de protéger le droit à la vie, ainsi que de garantir la prohibition de la torture et autres mauvais traitements. Cette obligation comporte un élément essentiel : la nécessité de mener sans délai des enquêtes exhaustives, impartiales et indépendantes conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui, le 1er juin 2006, a condamné la France pour violation de l’article 2 de la convention (droit à la vie), concernant un décès en détention pour lequel, 10 ans après les faits, l’Etat n’avait pas fourni d’explication plausible.

Amnesty International vous demande instamment de veiller à ce que l’enquête en cours soit poursuivie sans délai sur les circonstances de la mort d’Abou Bakari Tandia et sur les actes et mauvais traitements qui pourraient être à l’origine de son décès, sur la plainte pour faux témoignage portée contre certains policiers impliqués et sur les actes de toute personne soupçonnée d’avoir délibérément détruit ou retenu des pièces à convictions.

Veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de ma haute considération.

Halya Gowan
Directrice
Programme Europe et Asie Centrale
Amnesty International