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Impossible désormais d’écarter l’hypothèse d’une bavure dans l’affaire Abou Bakari Tandia, du nom de ce Malien mort en janvier 2005 après sa garde à vue au commissariat de Courbevoie. Enlisée des années, l’instruction avance à la vitesse de l’escargot. Néanmoins, à chaque étape de l’information judiciaire, la thèse policière bat de l’aile.

La toute récente audition des médecins légistes par le juge d’instruction est édifiante. Non seulement ils ont découvert, cinq ans après le drame, des incidents survenus en garde à vue susceptibles d’expliquer le malaise fatal de la victime, mais ils réaffirment, en substance, que le récit d’un gardien de la paix assurant qu’Abou Bakari Tandia s’est blessé tout seul est fantaisiste. Selon les dires du policier, le Malien s’est jeté lui-même contre la porte de sa cellule. Avec une violence telle qu’on l’avait retrouvé « écroulé, KO ». « Il est temps de mettre les policiers en examen pour violences volontaires ayant entraîné la mort », fulmine l’avocat de la famille, Yassine Bouzrou.

Un ébranlement cérébral par secousses

L’audition des médecins légistes remonte au 24 février, soit six mois après que le parquet a demandé à la juge de les interroger. Priés de s’expliquer sur « les contradictions apparentes » de leurs rapports successifs, ils répondent simplement qu’avant 2008 ils ne disposaient pas du dossier médical de la victime. Et pour cause, les documents s’étaient volatilisés. Perdus, égarés… pendant quatre ans par l’hôpital où avait été soigné Abou Bakari. Leur premier rapport avait donc été réalisé sans les documents médicaux essentiels à l’expertise. Et reposait sur le fameux récit du gardien de la paix. Les experts attribuaient alors le décès aux conséquences d’un oedème cérébral, raisemblablement dû à ce choc contre la porte. En tout cas à un traumatisme.

Mais selon leurs dernières conclusions, rédigées avec le dossier complet, le Malien a été victime d’un « ébranlement cérébral par secousses ». Des secousses qui auraient privé le cerveau d’oxygène et plongé Tandia dans le coma. Surtout, ils relèvent « l’absence de lésion traumatique (…) par choc direct contre un plan dur ». Autrement dit : le Malien ne s’est cogné la tête nulle part. De toute façon, la cellule est « trop exiguë » pour qu’il ait pris suffisamment d’élan. Les trois médecins, dont le professeur Dominique Lecomte qui dirige l’Institut médico-légal depuis vingt-cinq ans, se sont étonnés d’apprendre dans le cabinet de la juge qu’une altercation a opposé Tandia à un policier. Un élément pourtant essentiel car ce gardien de la paix a « maintenu » Tandia « par un étranglement avec son avant-bras ». Cette « contention » a pu « participer » au phénomène de privation d’oxygène. En plus de « l’ébranlement cérébral par secousses ».

Au moment où l’avocat de la famille a réclamé, fin août, la mise en examen des policiers, le parquet a demandé à la juge de les interroger, de même que les médecins légistes. Pour l’heure, seuls les experts ont été entendus. « L’instruction bat des records de lenteur », soupire Yassine Bouzrou.

© Le Parisien du 11 mars 2010 - Valérie Mahaut

Des dysfonctionnements en série

La garde à vue.
Abou Bakari Tandia, Malien sans papiers de 38 ans, est arrêté près du foyer de la rue des Fauvelles à Courbevoie le 5 décembre 2004. Il sort du commissariat le lendemain, plongé dans un coma dont il ne reviendra jamais. L’inspection générale des services (IGS) est saisie d’une enquête.

Le classement sans suite.
Le Malien décède à l’hôpital Louis-Mourier à Colombes le 25 janvier 2005.
Quelques semaines après l’autopsie, l’affaire est classée sans suite par le parquet de Nanterre.

La plainte.
En mai 2005, la famille veut savoir comment Abou Bakari est mort et dépose plainte avec constitution de partie civile pour « actes de torture et de barbarie » pour contraindre un juge d’instruction à mener des investigations.

Le dossier disparu.
Fin 2007, le nouvel avocat de la famille, Yassine Bouzrou, relève une série d’éléments troublants, comme la disparition du dossier médical et la panne de la caméra de surveillance de la cellule. Il demande une enquête et une expertise complémentaire des médecins légistes. Le parquet délivre un réquisitoire supplétif pour « vol du dossier médical » et « dégradation de la caméra » en mai 2008.

Des pièces à conviction retrouvées.
Fin août 2008, la copie d’un rapport radiologique atterrit chez la juge. Il avait été rangé dans un mauvais dossier au parquet. L’IGS est chargée de vérifier cette histoire de caméra en panne. Mais aucune panne n’a jamais été signalée. Les légistes rendent deux rapports. Le deuxième est rédigé avec le dossier médical complet, enfin exhumé des archives de l’hôpital Louis-Mourier courant 2008.