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Amnesty : la police française en question
Par Victoria Gairin

Usage excessif de la force, mauvais traitements, décès pendant des interpellations... L'ONG sonne l'alarme.

Il s'appelait Mohamed Boukrourou. Le 12 novembre 2009 dans l'après-midi, ce Marocain de 41 ans se rend à la pharmacie du centre-ville de Valentigney, dans le Doubs, pour se plaindre de certains médicaments qui ne lui conviennent pas. Le pharmacien sent que son client est énervé, le ton monte, il appelle la police. L'homme se serait alors assis pour tenter de reprendre son calme. Les agents, qui ne tardent pas à intervenir, auraient entrepris de le menotter. Mohamed ne se laisse pas faire. Plaqué au sol de force et transporté dans le fourgon, l'homme, selon des témoins qui ont observé ce qui se passait à l'intérieur, aurait été piétiné et frappé à coups de poing et de pied.

Quelques minutes plus tard à peine, un médecin constate le décès. Mais ce n'est que deux jours après l'événement que sa famille obtient l'autorisation de le voir. Après avoir été informée d'un "grave accident"... Selon son frère et sa soeur, Mohamed présentait des ecchymoses, avait l'une des joues arrachée, une arcade entaillée et la lèvre éclatée. Pour la police, c'est un arrêt cardiaque. Aujourd'hui, la famille Boukrourou attend toujours que le juge d'instruction qualifie les faits et décide du renvoi ou non de l'affaire devant le tribunal.

"Des affaires banales qui se terminent de façon tragique"
Un exemple parmi d'autres, selon Amnesty International France. L'organisation publie, mercredi, un rapport pour dénoncer l'impunité de certains policiers soupçonnés de violences, et pour exiger du parquet et des juges d'instruction des enquêtes "effectives, impartiales et dans les meilleurs délais". "Les cinq affaires que nous dénonçons sont tout à fait banales au départ, mais se terminent de façon tragique, parfois juste une heure après l'interpellation", explique Patrick Delouvin, directeur du pôle Europe de l'ONG.

Dans le cas d'Abou Bakari Tandia, qui avait été rapporté par Le Point.fr, tout s'est également passé très vite. Interpellé en banlieue parisienne à la suite d'un contrôle d'identité, le Malien de 38 ans est "tombé dans le coma" dans les locaux de la police et est décédé quelques semaines plus tard à l'hôpital. Selon son avocat, Me Yassine Bouzrou, la responsabilité est bien "judiciaire" : "Les policiers mis en cause ne sont pas sous contrôle judiciaire, ils peuvent se voir, se mettre d'accord sur leur version." Pourtant, les versions diffèrent. Selon certains agents, il se serait jeté par la fenêtre du commissariat. Pour d'autres, il se serait lui-même fracassé la tête contre les murs de sa cellule de garde à vue... Toujours est-il qu'en juillet 2009 un rapport d'expertise établi par l'institut médico-légal de Paris conclut à une lésion cérébrale due à un "ébranlement du tronc cérébral par violentes secousses".

"Cinq individus issus des minorités visibles"
Nouveau rapport en juin 2011 : Abou Bakari Tandia serait mort "d'anoxie (privation d'oxygène) à la suite de contentions répétées alors qu'il était dans un grand état d'agitation et se débattait". Selon le même rapport, c'est bien la contention thoracique effectuée par le fonctionnaire de police qui l'avait immobilisé qui a abouti à l'anoxie terminale. Le parquet de Nanterre a demandé que celui-ci soit de nouveau entendu. Aujourd'hui, l'audition n'a toujours pas eu lieu et le policier continue d'exercer ses fonctions.

Le point commun des cinq cas évoqués par Amnesty International ? Cinq individus issus des minorités "visibles". "Si les victimes de violations des droits humains commises par des policiers appartiennent à plusieurs tranches d'âge, ne viennent pas toutes du même milieu social et sont de nationalité différente, l'immense majorité des cas signalés concernent des personnes issues de ces minorités", explique Amnesty.

"Formation approfondie sur les droits humains"
Pour l'ONG, les méthodes d'immobilisation dangereuse doivent être interdites au plus vite, les policiers devraient recevoir une "formation approfondie" sur les droits humains et être suspendus et sanctionnés systématiquement lorsqu'ils sont mis en cause. Contacté mardi soir, le ministère de la Justice n'a pas souhaité s'exprimer. En attendant, les familles prennent leur mal en patience. "Quoi de pire que de ne pas voir de procès arriver ? De ne pas pouvoir faire son deuil ? La réputation et la confiance dans les institutions y perdent beaucoup", souligne Patrick Delouvin.

Et les commissions chargées d'enquêter sur ces bavures ? Il y avait bien la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), mais celle-ci n'existe plus. Elle a été remplacée par une nouvelle institution, le Défenseur des droits, qui reprend les fonctions de la CNDS, mais aussi du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants et de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde). Peut-on être à la fois au four et au moulin ? C'est ce dont doute fortement Amnesty.

Le défenseur des droits, Dominique Baudis, contacté par Le Point.fr, évoque, bien au contraire, une "centralisation des compétences" : "Les collaborateurs de la CNDS travaillent maintenant pour nous. Le pôle santé du Médiateur de la République sert à tous les services. Nous avons gagné en efficacité." Interrogé sur l'augmentation considérable des réclamations en matière de déontologie, Dominique Baudis répond : "Nous sommes certes passés de 15 dossiers par mois à 50. Mais avant la nouvelle loi, seuls les députés et les sénateurs pouvaient nous saisir. Aujourd'hui, absolument tout le monde." Quant aux cas évoqués par le rapport : affaire en cours...